Le personnage : un roi, un héros, un dieu
Gilgamesh est présenté dans tous les récits épiques où il apparaît comme un personnage hors du commun, de par sa stature et par les exploits qu'il accomplit. Il est grand, beau et fort, et sa
seule apparition sur les murailles d'Uruk suffit à effrayer l'armée de Kish dans Gilgamesh et Agga. D'après les titres donnés par les Anciens mésopotamiens à l'Épopée, qui sont en fait leur
incipit, Gilgamesh est tantôt « Celui qui surpasse les autres rois » (šutur eli šarrī, dans la version du début du IIe millénaire) ou « Celui qui a tout vu » (ša naqba imuru, dans la version de
Ninive). Il est même capable de séduire une déesse, Inanna/Ishtar.
Il est généralement présenté comme étant le descendant d'un être surnaturel, y compris une divinité. Dans la Liste royale sumérienne, c'est un démon-lilū, et dans l'Épopée, c'est la déesse
Ninsun. Dans ce dernier récit, son père est Lugalbanda, roi d'Uruk ayant également accomplit plusieurs exploits. D'après la version hittite de l'Épopée, qui est la seule à mentionner la naissance
de son héros, Gilgamesh aurait été créé par les grands dieux, notamment le Dieu-soleil et le Dieu de l'Orage, qui lui donnent force et courage. La version standard mentionne aussi le fait que les
dieux aient façonné son allure.
Par son ascendance, Gilgamesh est donc déjà supérieur aux autres hommes. Les exploits qu'il accomplit dans les différents mythes qui le mettent en scène illustrent cela : il porte le coup fatal
au terrible Huwawa/Humbaba et au Taureau Céleste, se rend dans des lieux inaccessibles au commun des mortels. De fait, Gilgamesh est devenu un personnage important du folklore mésopotamien, et a
même été reçu dans plusieurs civilisations voisines.
Une divinité des Enfers
Un autre thème récurrent des mythes mettant en scène Gilgamesh est la mort. Deux mythes sumériens tournent autour de ce sujet : La mort de Gilgamesh et Gilgamesh, Enkidu et les Enfers. Ils ne
sont pas repris dans l'Épopée, mais cette dernière est bâtie autour de la quête de Gilgamesh pour éviter la mort. Gilgamesh est donc un personnage obsédé par la mort, qui cherche à comprendre ses
mystères, et à savoir comment sont les Enfers dans le récit où Enkidu y est envoyé. Il est effrayé par sa mort future, qu'il cherche à éviter. Mais même lui qui a accomplit tant d'exploits
surhumains ne peut éviter cette fatalité. Les Anciens mésopotamiens avaient une vision pessimiste de la mort, qui touchait de façon égale les puissants et les pauvres, et les envoyait mener une
existence de tristesse dans l'Au-delà. La morale de l'Épopée est qu'on ne peut échapper à la mort, symbole de la condition humaine, et qu'il vaut mieux chercher à profiter au maximum de son
existence sur Terre.
Héros humain pour qui la mort est une obsession, Gilgamesh est aussi un être divin, une divinité infernale du pays de Sumer. C'est d'ailleurs sous cette forme qu'il apparaît dans les sources les
plus anciennes le concernant qui sont à notre disposition. La mort de Gilgamesh est certes un texte pessimiste, présentant comme un échec la quête d'immortalité du héros, mais finalement il
devient une des divinités des Enfers, ce qui peut être vu comme une sorte de compensation. Plus précisément, plusieurs textes semblent indiquer que Gilgamesh joue le rôle de juge des Enfers. Sa
fonction est détaillée dans l'hymne paléo-babylonien qui lui est dédié, mais elle reste à expliciter dans la mesure où il ne semble pas y avoir de croyance en un jugement après la mort en
Mésopotamie. Le tribunal qu'il dirige serait plutôt destiné à juger des affaires liées seulement au monde des morts. C'est donc en tant que divinité chthonienne, liée aux Enfers, qu'il est vénéré
et reçoit des offrandes dans plusieurs temples de basse Mésopotamie, où il dispose de statues à son effigie comme les autres dieux.
Un homme derrière les mythes ?
Il est courant de trouver dans les ouvrages spécialisés que Gilgamesh est un personnage qui a probablement existé. Mais pourtant il manque une
preuve déterminante de la réalité de son existence, qui reste toujours non prouvée. Il est donc à classer au même titre que Moïse ou le Roi Arthur dans la catégorie des personnages dits «
semi-légendaires », apparaissant comme des héros dont le contexte des exploits est vraisemblablement historique. Mais quant à savoir s'il a bien vécu, s'il s'agit de l'amalgame de différents
personnages, ou les deux, la question reste posée.
Si l'on se fie à de nombreuses traditions le concernant, il est un ancien roi d'Uruk passé à la postérité. La plus ancienne allusion à ce personnage le mettant en rapport avec cette cité est
datée du temps du roi Utu-hegal d'Uruk (2120-2112 av. J.-C.), mais il s'agit alors du dieu. C'est sous ses successeurs de la Troisième dynastie d'Ur que ce personnage apparaît dans les textes en
tant que roi d'Uruk. Les souverains d'Ur III Ur-nammu (2112-2094) et Shulgi (2094-2047) se présentent comme étant ses « frères et amis », cherchant à se faire voir comme ses héritiers (leur
dynastie semble être originaire d'Uruk).
Gilgamesh est généralement présenté comme étant le troisième d'une lignée de rois de cette cité ayant fait l'objet de récits épiques, après Enmerkar et Lugalbanda. Il est un modèle de roi, qui
mène ses troupes au combat, et la tradition lui attribue la construction de l'impressionnante muraille d'Uruk. Si l'on suit la Liste royale sumérienne, on peut dater le règne de Gilgamesh du
XXVIIe siècle av. J.-C. environ. Agga, l'adversaire de Gilgamesh d'après un récit sumérien, est présenté par cette liste comme le dernier roi de la première dynastie de Kish, supplantée par celle
d'Uruk. Le passage du témoin se ferait donc sous le règne de Gilgamesh. D'après la liste royale Agga est précédé à la tête de sa cité par Enmebaragesi, personnage connu par des inscriptions de
son époque, et qui a donc vécu avec certitude[27]. Dans l'hymne du roi Shulgi mentionnant Gilgamesh, c'est ce dernier roi de Kish qui est l'adversaire du roi d'Uruk. Cela rend donc plus
envisageable son existence en tant qu'être humain. Mais il est possible que le personnage héroïque de Gilgamesh se soit développé à partir d'une divinité vénérée particulièrement dans la région
d'Uruk, car c'est sous sa forme divine que Gilgamesh apparaît dans nos sources les plus anciennes le mentionnant, à la période tardive des Dynasties archaïques (soit deux ou trois siècles après
son existence supposée).
La cité d'Uruk est l'une des plus importantes villes de basse Mésopotamie durant la période où aurait vécu Gilgamesh, le début de l'époque dite des Dynasties archaïques. C'est sans doute la plus
grande ville de cette région, avec des murailles et des monuments impressionnants. Le cycle épique de ses souverains, ainsi que la Liste royale sumérienne en font une des grandes puissances
politiques de cette époque. Les récits relatifs aux prédécesseurs de Gilgamesh mettent souvent en scène leur rivalité avec la ville d'Aratta, sans doute localisée dans le Plateau iranien, tandis
que Gilgamesh semble s'être opposé à Kish, la grande puissance du nord de la basse Mésopotamie. Les rois d'Uruk ont tous un lien particulier avec la divinité Inanna/Ishtar, déesse de la ville
d'Uruk, où elle a son grand temple, l'Eanna, principal complexe monumental de la ville, avec Kullab, le quartier de son père le dieu Anu (d'où vient peut-être Gilgamesh, si on suit la Liste
royale). Mais alors qu'Enmerkar et Lugalbanda ont un très bon rapport avec la déesse, Gilgamesh semble avoir des relations plus conflictuelles avec elle.